Depuis que je suis petit, avant même de devenir photographe, j’ai toujours voulu observer le mouvement du courant. Il y a de brefs moments lorsque nous apercevons de la fumée dans un faisceau de lumière ou de l’encre bouger à travers l’eau, mais capturer une image de la façon dont les courants bougent restait seulement dans mon imagination, jusqu’à ce jour inattendu dans le Parc National de Komodo en Indonésie.
Les derniers dragons vivent sur un groupe d’îles en Indonésie orientale. Les dragons de Komodo surpassent les humains en taille et se nourrissent de singes et cerfs. Mais sous la surface, il y a de plus grands mystères. Les récifs de Komodo sont parmi les écosystèmes les plus vibrants et sains du monde. Cela vient largement de la rencontre des courants chauds et froids. Ces courants, parfois dangereux, amènent des nutriments pour une grande diversité de créatures marines et un écosystème prospère.
Un photographe à Komodo
Pendant 10 jours entre Bali et Komodo, moi et ma compagne Akasha avons passé 10 jours à bord de l’Adelaar, un voilier noir et rouge qui me rappelait les contes de pirates. Les zodiaques nous amenaient de l’Adelaar au bord des récifs. Notre guide a flashé le « ok » signalant le moment de se laisser tomber du zodiaque dans l’eau. Avec ma caméra dans une main, j’ai dégonflé mon stab de l’autre et ai coulé vers les profondeurs. Presque immédiatement, nous étions en train de voler le long des coraux, le courant nous emmenant plus rapidement qu’un vélo. Combattre le courant n’était pas sensé. Je regardais les poissons défiler devant mes yeux et les tortues s’abriter derrière des rochers.
Pendant environ 10 minutes, j’ai profité de cette sensation, tout en restant proche de mon binôme et regardant le monde comme un film devant mes yeux. Tout à coup, c’était comme si quelqu’un avait mis les freins et nous nous sommes arrêtés dans des eaux calmes. Nous étions dans une partie spéciale du récif où les courants se rencontrent. Dans cette zone, il n’y avait plus de mouvement. Libre d’explorer le récif, j’ai regardé les petites crevettes et les némos qui se cachent dans les anémones qui semblent danser dans l’eau.
Imprévisible est l’océan
Un quart d’heure plus tard, j’ai regardé dans la direction d’où nous étions venus et ai remarqué quelque chose de bizarre. Il y avait des milliers de petits objets brillants, suspendus dans le bleu, étincelant comme des flocons de neige sous le soleil, puis ils ont bougé. Certains ont plongé vers les profondeurs, certains vers le côté et d’autres viraient sur place. Confus au premier abord, j’ai ensuite réalisé ce que je regardais. C’était des bulles, expirées quelques minutes auparavant. Les mêmes qui étaient il y a peu dans mes poumons.
Les bulles remontent normalement rapidement à la surface, cependant, dans cette zone spéciale où les courants se rencontrent, elles étaient maintenues en place, prisonnières du bleu. Les courants descendants étaient plus forts que le désir des bulles d’atteindre le ciel. Voilà quelque chose que je n’aurais jamais cru possible se déroulant sous mes yeux. Je pouvais voir le mouvement des courants. J’ai observé alors que des milliers de bulles ont révélé le mouvement des eaux autour d’elles, en spirale, plongeant dans l’abysse, montant, et dansant dans la lumière.
Attaché à mon dos, une réserve d’air suffisante pour que je puisse explorer les profondeurs sous-marines pendant un peu plus d’une heure. Mes palmes me permettent de me déplacer dans toutes les directions. Ma montre est mon ordinateur. Elle m’indique ma profondeur, l’heure et d’autres mesures importantes. Je suis même armé d’un couteau pour le combat ou pour aider les animaux à échapper aux lignes de pêche. Enfin, mon appareil photo me permet de capturer les choses fascinantes que je trouve. Au fur et à mesure que je m’enfonce dans les profondeurs, les couleurs disparaissent et il ne reste plus que le bleu. Tandis que je flotte sur le paysage rempli d’étranges extraterrestres, je ne peux m’empêcher de me sentir comme un astronaute explorant un océan dans l’espace.
Les eaux de Komodo
Dans les eaux de Komodo, on trouve des animaux tout droit sortis des confins de l’imagination. La plongée de nuit est une expérience totalement différente. La nuit tombée, il y a des créatures et des coraux qui brillent de différentes couleurs lorsqu’ils sont éclairés par une lumière ultraviolette. Lors de notre première plongée de nuit, j’ai éteint ma lampe et me suis éloigné des autres, dans l’obscurité.
En regardant dans l’eau noire, j’ai vu un petit éclat de lumière bleue. J’ai rapidement nagé vers elle alors que la lumière se répandait dans l’eau comme de l’encre. Elle a couvert mon visage, et un liquide bleu brillant est passé derrière moi. En allumant ma lampe, j’ai trouvé une petite crevette de la taille d’une cacahuète qui pulvérise ces nuages d’encre lumineuse pour distraire les chasseurs et éviter d’être mangée. J’ai regardé un calmar recracher un poisson quand je l’ai éclairé. J’ai levé les yeux et regardé la lumière de la lune qui rayonnait à la surface. Comme sur terre, ce sont les êtres étranges qui sortent la nuit.
Le jour aussi, on observe maintes merveilles. J’ai vu des palourdes plus grosses que moi. Sous un volcan se trouvaient des plages de sable noir où des bulles s’élevaient du sable et où se rassemblaient des centaines de limaces colorées appelées nudibranches. Certaines ressemblaient à des dragons bleus. À Komodo, j’ai aussi croisé des tortues, des thons, des requins et un banc de poissons de la taille d’un grain riz. J’ai observé des poissons-chèvres utilisant leur moustache pour trouver de la nourriture sous le sable, d’étranges crabes défendant leur territoire et deux anguilles s’accouplant dans le corail.
Préoccupations environnementales
Dans le passé, les pêcheurs jetaient de la dynamite dans l’eau, qui explosait et envoyait une onde de choc à travers le récif. Les récifs coralliens sont comme des villes, pleines d’habitants. Et quand une bombe est larguée sur une ville, il y a beaucoup de morts et une grande dévastation. Le corail meurt, aplati par l’explosion, et de nombreux poissons remontent à la surface, où les pêcheurs les attendent. Ce qui aura mis des centaines d’années à se former, est réduit en poussière en quelques secondes. Un lieu de beauté et d’abondance, où des milliers d’espèces interagissaient et vivaient, est laissé en ruine. Il existe des endroits dans le monde où la pêche à la dynamite est toujours pratiquée.
Aujourd’hui cependant, Komodo est devenu une réserve marine. Bien qu’il y ait encore un peu de pêche illégale, le Parc National est protégé. Et là où la vie a prospéré, elle retrouve son chemin. Les coraux plus tendres trouvent prennent d’abord racine parmi les squelettes blancs des coraux morts. Ils se répandent sur le sol et ondulent comme des prairies dans le vent. Les poissons y trouvent un abri contre les grands prédateurs, et lentement, après de nombreuses années, le corail dur revient. Les récifs coralliens sont un écosystème délicat. Ils existent depuis bien plus longtemps que l’homme, et pourtant ils sont vulnérables aux changements de température, aux déchets et aux mauvaises pratiques de pêche qui ne profitent qu’à quelques-uns et ne laissent rien pour l’avenir. Si nous sommes prudents et respectueux, nous pourrons visiter ces lieux pour de nombreuses générations à venir. Nos enfants et leurs enfants pourront être les témoins de certaines des manifestations les plus fascinantes et les plus belles de la nature. L’Homme ne devrait pas être en guerre avec la nature. Nous devons simplement être respectueux de toutes les créatures qui vivent avec nous sur cette planète.
Texte et photos par notre invité et photographe Karim Iliya